mercredi 15 décembre 2010

L'Abbaye de Saint-Genis-des-Fontaines : 2/ Historique


Table des matières


    * LE CADRE

        ** SITUATION GEOGRAPHIQUE

        ** SITUATION TERRITORIALE ET POLITIQUE

    * DU VIIIème A LA FIN DU Xème SIECLE

        ** DATATION  ET  IMPLANTATION

        ** BATIMENTS ET ARCHITECTURE


* LE CADRE

** SITUATION GEOGRAPHIQUE 

    Située dans le ROUSSILLON, département des Pyrénées Orientales, au pied de la chaîne des Albères et extrémité Est de l'axe central du massif pyrénéen (plaine qui a sa symétrie avec celle de l'Ampourdan voisine), cette ABBAYE et ses trois voisines immédiates : Sainte Marie d'Arles, Saint André de Sureda et San Pere de Roda se sont installées et développées à la même période. Période pendant laquelle les limites géographiques, autant que les statuts politiques, sont loin d'être totalement stabilisés.
    Ces caractères vont cependant considérablement marquer ces édifices de leur implantation à leur développement

** SITUATION TERRITORIALE ET POLITIQUE

    Saint Genis et les deux autres monastères roussillonnais sont en place fin VIIIème siècle dans une région-contact qui depuis l'antiquité romaine jusqu'à cette implantation a connu une histoire riche et mouvementée. C'est une zone carrefour de voies commerciales, une zone passage d'invasions et/ou de conquêtes militaires, une zone frontière, une zone d'implantation, de mission et de développement religieux. Une région qui présente donc toutes les caractéristiques nécessaires pour une histoire mouvementée.
    Née de la conquête, l'une des plus importantes voies romaines : la VIA DOMITIA, passait à peu de distance au Nord de ce qui deviendra Saint Genis.  (voir la carte annexe) .  Après l'angulation de Salsulae(Salses) La via domitia passait leTech vers Sainte Eugénie de Tresmals, entre Latour Bas-Elne et Taxo d'Avall (Tatzo=station?), ou le relais d'étape d' Ad Stabulum reste à retrouver.A partir de là, une branche de la Domitienne partait vers la côte et Portus Veneris (Port Vendres)  puis suivait l'ancienne voie hérakléenne ou continuait vers le col de Banyuls, l'autre branche partait vers la station d' Ad  Centuriones (Saint Martin de Fenollar) puis remontait la rivière Rome vers Les Cluses – Castrum Clausurae- ou se trouvent encore les ruines de deux importants forts romains encadrant sur la via Domitia parfaitement visible le Portorium (poste de douane) ou était perçu le « quarantième des Gaules » le péage et la taxe commerciale. Ensuite cétait le Summum Pyrenaeum (le col de Panissars), l'ensemble constituant la limite entre la Narbonnaise au Nord et la Tarraconnaise au Sud .
    Il y a hésitation entre rive gauche et rive droite du Tech pour Saint Genis mais le tracé rive droite est le plus plausible, passant par Palau Del Vidre et par Villeclare ou furent retrouvés un fragment de borne milliaire de l'époque de Constantin(IVème siècle) et la nécropole de Batipalmes des III et IVème siècle.
    D'autre part d'importantes VILLAS romaines sont repérées, l'une au contact immédiat du monastère de Saint Genis coté Est et contigue au jardin des moines (un récent sondage en a révélé l'importance) ; une autre à proximité immédiate du lycée A. Sauvy à l'Ouest de Saint Genis.
    Des voies romaines secondaires : la Via Confluentana remontant la vallée de la Têt vers la Cerdagne puis Lerida, la Via Valespiriana remontant la vallée du Tech vers le col d'Arès, la Via Vallis Aspiranae venant de la côte et allant vers Ad Centuriones concernait directement Saint Genis puisqu'elle passait,semble-t-il, au Sud immédiat du monastère.
    Lequel était donc situé entre deux voies romaines distantes de quelques kilomètres. Cette configuration est le signe d'une région active, d'antériorité de positionnement d'une population certainement assez importante. Les monastères se réimplantent sur des structures encore certainement parfaitement visibles. Le réemploi de matériaux romains au niveau de l'église intérieur et façade en est manifestement la preuve et le Dolium d'assez grandes dimensions retrouvé a l'entrée du monastère ne fait que le confirmer.
    Le royaume wisigoth de Toulouse installé à partir de 418 sera réduit après la victoire de Clovis à Vouillé en 507 à la Septimanie (Bas-Languedoc et Roussillon actuels) avant de disparaître lors de la conquête dite « arabe » entre 711 et 732. La Septimanie est conquise en 719, Narbonne devient Arbûna pendant 40 ans. Ces aléas sont importants pour nos monastères car les influences dites hispano-wisigothiques y seront très développées lors de leur implantation.
    Celle-ci est intimement liée aux épisodes de la reconquête carolingienne et de ses suites. Elle a commencé sous Pépin le Bref avec la prise en main du Bas Languedoc à partir de 751- Narbonne reprise en 759- puis de l' Aquitaine entre 761 et 768.
    En 777 Charlemagne décide l'expédition vers Saragosse pour assurer l'arrière de l' Aquitaine, ce sera  le gros échec de 778 et le reflux de l'armée carolingienne qui fera de quelques » hispani » les créateurs de nos trois nouveaux monastères dont SENTIMIR à Saint Genis.
    Un nouveau raid musulman vers Narbonne qui sera assiégée verra une nouvelle défaite des troupes carolingiennes à la bataille de l'Orbieu. Il faudra attendre les ex péditions du roi Louis d'Aquitaine (fils de Charlemagne) et du Comte de Toulouse Guillaume (le fondateur de l'abbaye de Gellone en 804 , le futur Guilhem de Saint Guilhem le Désert) grand ami du fils du comte wisigoth de maguelonne : Witiza devenu Benoît fondateur d' Aniane en 784 et refondateur de la règle bénédictine. La réforme de Benoît très proche de Charlemagne sera appliquée dans tout l'occident et   bien sûr dans nos monastères.
    Les expéditions de Louis et Guillaume permettront la prise de Gérone, de Barcelone en 801 puis de Tortosa en 811 et feront de la Marca Hispanica une avancée carolingienne en zone ibérique et mettront le Roussillon un peu plus à l'abri, particulièrement avec l'organisation des Comtés.
    C'est pendant ces périodes agitées que les murs de nos monastères montent et que leur emprise territoriale s'affirme. Ceci est confirmé à Saint Genis par un précepte de Louis le Pieux de 819.
    Difficultés qui ne sont pas pour autant terminées, les raids normands viendront très rapidement le rappeler à tous !





* DU VIIIème A LA FIN DU Xème SIECLE

    Le Monastère Carolingien de Saint Genis de la fin du VIIIème à la fin Xème siècle     

En 1711 deux bénédictins mauristes Martène et Durant ( de la congrégation de Saint-Maur créée en 1618 ) en visite dans la région écrivent que « ...l'abbaye de Saint-Genis est la plus ancienne du Roussillon ... » tout en signalant que la décadence est largement amorcée.
    Ancienneté réelle sur le site présent puisque les deux autres monastères créés à la même période, le premier : Arles sur Tech est implanté au départ aux Bains d'Amélie et l'autre Saint-André de Sureda sis à l'origine dans la vallée de Lavall au cœur des Albères. Ils ne gagneront leur emplacement présent que quelques décades plus tard.

** DATATION  ET  IMPLANTATION
 

    Trois textes fondateurs,complétés par des donations ultérieures, consultables et téléchargeables dans le « Fonds documentaire ASVAC » de ce site ainsi que les textes de Louis Boulet et Raymond Barde de l'ASVAC, nous donnent les indications nécessaires autant qu'importantes à une bonne compréhension du mécanisme d'implantation dés le départ.

  • LA CHARTE DE 819 concédée par l'empereur Louis le Pieux à l'Abbé Assaric et précisant :  

    • La construction «... par un homme très pieux du nom de Sentimir … depuis les fondations... » du monastère de Saint Genis, de la Cella de Saint Jean et au Puig Oriol.
    • Les possessions originelles «... qu'ils ont tirées du désert, qu'ils ont pu tirer d'eux-mêmes, de dons d'hommes craignant Dieu, ou de l'aprisio... » Cette référence à l'aprisio – la loi trentenaire- est importante car cela signifie que l'implantation s'est faite avant 789 donc probablement dans la décade 780-790 immédiatement après le désastre militaire de 778.
    • Des possessions «...que la divine piété a bien voulu accroître par la suite, qu'il leur soit permis de les avoir et posséder en tranquillité... » qui s'élargissent donc rapidement.
    • L'autorité : « ...prescrivant nous ordonnons donc qu'aucun juge public, ni qui que ce soit parmi les juges, n'osent à aucun moment entrer dans le susdit monastère ou les Cellas ou les lieux soumis à lui... ». Cette autonomie tirée de « l'immunité » sera l'une des grandes caractéristiques du monastère de Saint Genis jusqu'à sa vente en 1796.
    • L'administration : «... tant que les moines eux-mêmes ont pu élire parmi eux des hommes capables de diriger la congrégation selon la règle de Saint Benoît par concession de notre part qu'ils aient la permission d'élire les Abbés... » 
  •   LE PRECEPTE DE 834 accordé par l'empereur Lothaire au monastère de Saint Genis confirmant la charte de 819 concédée par son père l'empereur Louis, signée à Cluny le 8 des ides d'avril 834. 


    Ces deux textes sont extrêmement importants car ils précisent directement ou indirectement la datation mais surtout l'organisation du monastère, sa gestion, l'étendue dés le départ de ses possessions, les activités « … a cultivé les terres, planté des vignes et des olivettes et a construit beaucoup de bâtiments... »

  • LE PRECEPTE DE 981 de Lothaire, roi des Francs, accordé à la requête de Gausfred « duc du Roussillon », signé à Laon la 27ème année du règne de Lothaire, la 3ème de son fils le seigneur Louis.


    Nous sommes au crépuscule de la période Carolingienne dans l'ancienne Francia Occidentalis née à Verdun. Ce texte qui confirme les précédents est intéressant sur plusieurs points :

  • La mise du monastère de Saint Genis sous la protection de Gausfred 1er qualifié de Duc de Roussillon, étant à la tête de 3 Comtés : Roussillon, Perelade et Empories.

  • La mention en 981 d'un monastère « … qui a été jadis par les païens et reconstruit maintenant grâce à la protection de la miséricorde de Dieu... ». De quels païens s'agit-il ? Et à quel moment intervient cette destruction ?

  • Mais l'intérêt majeur de ce texte est la liste longue et complète des possessions du monastère confirmée par ce texte, ainsi que la mention des activités. On s'aperçoit que les possessions sont nombreuses en Roussillon et en Salanque, dans les Albères mais également en Conflent où on relève les noms d'Escaro, d'Evol, d'Espira, de Vall Manya et de Cellas dans le Comté de Besalu. L'implantation territoriale du monastère de Saint Genis en cette fin du Xème siècle, les activités agricoles et minières, ainsi que les revenus sont considérables.

    A la même époque une donation importante va considérablement agrandir encore les possessions du monastère en Conflent et en Cerdagne. Il s'agit de :

  • LA DONATION ASENAR ET DACHOLINE son épouse de 990


    Concernant notamment un alleu à Escaro, un alleu à Llivia dans le Comté de Cerdagne « … en pleine propriété... » ainsi qu'à Soanyes et Marians, avec la liste des activités agricoles associées.

    Un détail intéressant : le document est signé de l'an IV après la mort de Louis V fils du roi Lothaire alors que depuis 987 Hugues Capet est sur le trône.

  • LA RECONNAISSANCE D'UN ALLEU par le Comte de Roussillon Gausfred quelques décades plus tard en 1068 en pleine propriété par le monastère sous l'abbatiat de l'Abbé Ponç augmente encore le patrimoine.


    Nous avons donc fin Xème début XIème siècle un monastère puissant, placé sous la protection des Comtes de Roussillon, à l'implantation territoriale large et aux activités agricoles nombreuses et variés. Un relevé cartographique de cette implantation est particulièrement significative.
    Mais qu'en est-il des bâtiments monastiques eux-mêmes et de l'abbatiale ?

** BATIMENTS ET ARCHITECTURE 

    Si comme nous venons de le voir des documents extrêmement intéressants nous informent sur la création, le développement, l'organisation, la règle et l'importance territoriale ainsi qu'économique du monastère, par contre en ce qui concerne le bâti la caractéristique est    l'absence de documents pour la période.
    Nous devons donc partir de l'existant et intégrer les éléments de l'histoire politique générale et locale. Il semblerait que l'emprise au sol des bâtiments monastiques à savoir un quadrilatère d'environ 60m sur 40m soit déjà en place dès l'origine mais sans aucune certitude. Encore moins en ce qui concerne l'apparence des divers bâtiments.
    L'église abbatiale (actuelle église paroissiale) telle qu'elle se présente aujourd'hui – croix latine avec un chevet choeur composée d'une abside principale et deux absides latérales sur transept saillant prolongeant une nef à quatre travées, la première faisant office d'entrée – est du XIIème siècle. Deux consécrations successives en 1127 et 1153 suivent la fin des travaux de l'époque. La façade ayant été modifiée au XIème siècle. Il semblerait cependant (là encore avec toutes les réserves d'usage) que l'emprise au sol soit celle du bâtiment d'origine.




    Quelques éléments viennent étayer cette hypothèse :
  •  Les piles en très gros appareil de soutènement et séparation entre les trois absides à la croisée du transept sont de construction carolingienne ainsi que les deux passages avec arcs à gouttière des absides latérales vers l'abside principale particuliers à Saint Genis et à San Pere de Roda.

    Certaines traces noirâtres sur ces grosses pierres pourraient attester encore d'un incendie ayant détruit les bâtiments lors des raids normands des années 858-859 qui ont affecté également les autres monastères carolingiens. La reconstruction ultérieure s'est faite ainsi sur les restes subsistants de la construction antérieure.
  • Le voûtement du XIIème siècle sera réalisé en s'appuyant sur des contreforts intérieurs adossés portant des arcs doubleaux et soutenant des arcs formerets s'appuyant sur les murs qui seraient donc d'emplacement originel.

  • Des pierres de remploi en gros appareil sont également visibles à l'extérieur de l'édifice aux angles (notamment des pierres d'origine antique provenant d'une villa gallo-romaine proche)

  • Un synode se serait tenu au monastère en 888 (contesté par certains), après une rencontre en 882 (signe donc d'une reconstruction en cours sinon achevée) réunissant l'évêque d'Arles sur Rhône et l'archevêque de Narbonne. Les synodes locaux et provinciaux sont nombreux à l'époque. Celui de l'an 1000 est présidé par l'archevêque de Narbonne. Quoi qu'il en soit le monastère est reconstruit à la fin du Xème mais ne l'était-il pas avant 

    C'est ce que nous précise le précepte de Lothaire de 981 cité plus haut :  « … que les choses qui appartiennent au monastère de Saint Genis qui a été naguère détruit par les païens et reconstruit maintenant grâce à la protection de la miséricorde de Dieu et qui s'appelle Les Fontanes … nous les confirmons par privilège... ».
    Nous nous permettrons ici deux interrogations :
  • S'agit-il de la destruction par les Normands qui remonte à presque un siècle et demi, Normands qui par ailleurs sont christianisés depuis Saint Clair sur Epte, donc depuis 70 ans au moment où Lothaire fait rédiger son précepte ?

  • La reconstruction mentionnée dans le précepte remonte-t-elle à la fin du IXème ou est-ce une reconstruction plus récente après d'autres incursions de païens ?
    Osons ici une hypothèse : les Hongrois entre 924 et 932 ont ravagé la Provence, le Languedoc jusqu'à Toulouse avant d'en être chassés par le Comte Raymond Pons III également Marquis de Gothie en 932 ils reviendront en Aquitaine quelques années plus tard. Sont-ils venus plus au Sud ?
    Dans l'Histoire Générale du Languedoc au Livre 12 Vaissette et Devic, bénédictins mauristes et auteurs de cet important ouvrage font état d'une lettre des évêques de la Province de Narbonne au Pape décrivant un pays ravagé vidé de ses habitants. Ces envahisseurs magyars ont une réputation épouvantable causant des ravages terribles, se nourrissant disait-on de chair humaine, aimant dévoré le cœur de leurs victimes  et enlevant les enfants ( le terme « ogre » viendrait de « hongrois »!).
    Ont-ils fait à l'époque des incursions en Roussillon en y causant des dégâts ou leur seule réputation apocalyptique serait-elle à l'origine de nos « simiots » d'Arles, monstres à tête de singe ou monstres imaginaires originaires de Hongrie dans l'inconscient ( ou le conscient) collectif ? C'est en 960 qu' Arnulfe va chercher les reliques d'Abdon et Sennen à Rome ! Si incursions il y a eu cela expliquerait peut-être la reconstruction mentionnée dans le précepte de 981.
    Quoi qu'il en soit notre monastère va recevoir au début du XIème siècle (1019-1020) d'un atelier de sculpteur-tailleur de pierres une œuvre qui le fera entrer plus tard dans l'Histoire de l'Art et connaître du monde entier : le linteau du « Maître de Saint Genis » maître inconnu mais au combien important pour les débuts de « l'Age Roman ».