Table des matières
* LE LINTEAU DE
L'ANCIENNE ABBATIALE BENEDICTINE CAROLINGIENNE DE SAINT-GENIS-DES-FONTAINES
** LA
DATATION : Un élément important.
**
COMPOSITION
** STYLE ET
TECHNIQUE
* LA MANDORLE
**
LINTEAU OU RETABLE ?
+ ANNO VIDESIMO QVARTO RENNA(N)TE ROT BERTO
REGE WILIELMUS GRA(TIA) DEI
ABA ISTA OPERA FIERI IVSSIT IN ONORE S(AN)C(T)I GENE SII CENOBII QVE VOCANT FONTANAS
ABA ISTA OPERA FIERI IVSSIT IN ONORE S(AN)C(T)I GENE SII CENOBII QVE VOCANT FONTANAS
* LE LINTEAU DE L'ANCIENNE ABBATIALE BENEDICTINE CAROLINGIENNE DE SAINT-GENIS-DES-FONTAINES
Une œuvre
en marbre blanc parfaitement datée 1019-1020 posée en linteau dans une façade
retravaillée au milieu du XII ème siècle d'une église abbatiale en même temps
que se réalise son voûtement ainsi que la reconstruction de l'abside principale
et qui vaudra la nouvelle consécration de 1153.
Eglise de l'un des premiers monastères carolingiens implantés en Roussillon
avec Sainte-Marie d'Arles sur Tech et Saint-André de Sureda. Monastères qui
connurent des premiers siècles d'existence mouvementés et des phases
successives de construction ou reconstruction, causes notamment d'un important
questionnement sur l'origine de ce linteau comme de son jumeau de Saint André
de Sureda.
** LA DATATION : Un élément important.
A ce titre il
figure dans tous les manuels et ouvrages spécifiques traitant de cette période
et le fait connaître dans le monde entier. La datation est inscrite dans la
pierre à la gloire manifestement du commanditaire de l'oeuvre et du monarque
régnant puisque référence il y a, et ceci n'est pas sans intérêt.
+ ANNO VIDESIMO QVARTO RENNA(N)TE ROT BERTO
REGE WILIELMUS GRA(TIA) DEI ABA
ISTA OPERA FIERI IVSSIT IN ONORE
S(AN)C(T)I GENE SII CENOBII QVE VOCANT FONTANAS
Deux lignes placées
sous la bordure de part et d'autre de la mandorle qui coupe les noms du
monarque et du saint patron du monastère que l'on peut traduire ainsi :
«La vingt quatrième année du règne du roi
Robert, Guillaume abbé par la grâce de Dieu ordonna la réalisation de ces
œuvres en l'honneur de Saint Genis au monastère qu'on appelle des fontaines»
Robert, fils
d'Hugues Capet monte sur le trône à la mort de son père (auquel il était déjà
associé) en 996. La 24 ème année nous donne donc une fourchette comprise entre
le 24 octobre 1019 et le 24 octobre 1020. La référence de l'abbé Guillaume –
dont on ne sait rien – au roi Robert n'est certainement pas un hasard. Robert
le Pieux est considéré comme le premier roi thaumaturge, très impliqué dans le
développement de la vie religieuse dans son royaume (malgré des
excommunications liées aux « aléas » de sa vie maritale!) va
combattre les premières déviances « hérétiques » qui vont marquer la
deuxième partie du Moyen Age déjà perceptible avant 1019 et dénoncées par
Adhémar de Chabannes. La destination de l'oeuvre « SANCTI GENESII
CENOBII » tout aussi clairement indiquée.
On peut s'étonner
de la référence au roi Robert à une époque ou les Comtes « catalans »
ont cessé de se sentir lier à la monarchie franque depuis que celle ci n'a pas
répondu aux appels au secours lancés lors des raids d'Al Mansour notamment au
moment de la prise et du pillage de Barcelone.
** COMPOSITION
Il s'agit d'une
pierre en marbre blanc de 2,21 m sur 0,70 m et environ 0,18 m d'épaisseur. Un
rinceau de palmettes au rendu délicat entoure une scène centrale surmontée par
l'inscription – datation – que nous venons de présenter .
Une mandorle
centrale double renfermant un Christ bénissant assis sur la courbure
intérieure, les pieds sur un « tabouret » dans la partie
inférieure. Cette mandorle est soutenue par deux anges qui semblent la porter.
De part et d'autre
trois personnages sous arcades, nimbés sont certainement des apôtres. Les
nimbes étant presque confondus avec les arcades outrepassées. On peut imaginer
que le premier à la droite du Christ, se tenant la joue, soit Pierre. Le
deuxième à sa gauche, chauve et barbu, serait Paul. Entre Paul et le Christ le
visage jeune pourrait être Jean. Tout cela reste des suppositions. Ils
obéissent, selon la définition qu'en a donné Henri Focillon, à la fameuse « loi
du cadre » : les figures et les personnages sont contraints par
la structure déterminée du cadre au départ. Les têtes dans les arcatures
outrepassées, les épaules qui tombent parallèlement aux bordures des
chapiteaux, les pieds et le bas des tuniques resserrés entre les bases des
colonnes. Cette contrainte s'impose de la même manière aux deux anges qui
portent la mandorle.
Peter Klein et
Géraldine Mallet ont constaté à juste titre que malgré une apparence uniforme
leur traitement est très soigné et les attitudes ainsi que les représentations
très diversifiées. Le caractère relativement simple de la figuration des
personnages forment quand même un réel contraste avec l'élégante perfection du
rinceau de palmettes de l'encadrement.
** STYLE ET TECHNIQUE
Le réalisateur de
cette œuvre n'est connu que sous l'appellation
de « Maître de Saint
Genis. Il réalise à la même époque la fenêtre de Saint André de Sureda. Le
linteau de cette même abbatiale est d'une autre main peut-être moins habile
mais plus avancé dans sa conception.
Tous les
spécialistes s'accordent à reconnaître une influence hispano-wisigothique
qualifiée également de mozarabe pour les arcatures outrepassées ou la qualité
de la taille. D'aucuns ont vu une certaine parenté entre le rinceau de
palmettes ( celui-ci ou d'autres rinceaux romans) avec quelques fragments
provenant de Madinât al-Zahra, le grand et magnifique palais califal des
environs de Cordoue construit entre 939 et 976 et totalement détruit quelques
décades plus tard mais qui a marqué les esprits.
Ils s'accordent à
reconnaître également l'originalité de l'utilisation et du travail du marbre
blanc à l'image des ivoires comme le parallélisme fait par Durliat avec le
fameux ivoire ottonien d'Essen du début XI ème siècle (donc de la même
période) notamment pour les motifs perlés.
Comparaison également
avec la travail des enlumineurs et surtout celui des orfèvres d'un certain
nombre de devants d'autels connus par les textes mais disparus. Devant d'autel
– antependium – à l'origine en tissu ou en bois travaillé par la méthode du
« gesso » puis peint.
Comparaison a
également été faite avec des retables présentant les mêmes caractéristiques que
le linteau, notamment des retables scandinaves.
Tout ceci a été à
l'origine de controverses importantes quant à l'emplacement originel des
linteaux de Saint Genis et de Saint André. Nous y reviendrons plus tard.
Une autre influence
, majeure, a été celle des ateliers de marbriers de Narbonne, connus notamment
pour la production des tables d'autels.
Mais l'élément le
plus important en ce début du XI ème est l'évolution qui se fait jour dans ces
prémices de la réapparition de la sculpture
monumentale. C'est qu'à la gravure linéaire en creux héritée du travail
d'orfèvrerie se développe une autre technique, s'ajoute une taille différente
parfaitement déterminée sur ce linteau de Saint Genis, tant sur le rinceau ou
les ailes des anges que pour les plis des manches des apôtres, surtout au
niveau des épaules, ou le vêtement du
Christ au niveau des genoux.
C 'est l'apparition
du creux en gouttière, de la taille en « plis repassés »
(selon une expression couramment utilisée), la taille en biseau. C'est
là un élément important car cette taille est liée au travail du bois ou de la
pierre et non à celui du métal. Cette nouvelle technique permet dans un
ensemble sculpté en méplat très peu prononcé ( quelques millimètres)
d'introduire un jeu d'ombres et de lumière qui développe le rendu de relief.
* LA MANDORLE
Elément central du linteau, il est celui qui attire les regards. Est-ce bien étonnant ? C'est l'objectif majeur.
Les mandorles – ou
leurs variantes : auréole, gloire, clipeus ou couronne végétale – sont
utilisées depuis très longtemps, dès l'antiquité. Peter Klein l'a parfaitement
montré. La forme se fige géométriquement à l'époque romane. C'est la signe
désormais des apparitions divines marquant la qualité sacrée et céleste du
personnage qu'elle met en valeur. Forme et nom issus de la
« mandorla » italienne : l'amande. Elle va servir à exprimer la
majesté du Christ-Roi. La mandorle devient lumière c'est le passage nous dit-il
du « Sol Invictus » au « Sol Salutis ».
La forme
particulière de la mandorle de Saint Genis en « 8 », formant une
double courbe, est d'inspiration carolingienne. L'espace supérieur représentant
le monde céleste eu dessus du monde terrestre. Le Christ en « Maiestas
Domini » est assis sur la courbe intermédiaire déterminant un espace quasi
circulaire, ce qui est assez particulier. C'est l'ensemble qui forme la
mandorle et on peut donc y voir trois espaces. Un rapprochement a été fait avec
la chapelle de la Trinité de Saint Michel de Cuxa, réalisée vers 1030 par
Oliba, ou trois espaces circulaires s'inscrivent également dans la structure au
sol. Ce serait la première représentation graphique de la Trinité en
« Trône de la Grâce ». Et si cette première représentation se
rencontrait à Saint Genis ?
Peter Klein
va au delà des analyses de Marcel Durliat et Mireille Mentré qui voyaient une
simple « Maiestas Domini ». Les deux anges soutenant la mandorle sont
en train de voler. Nous avons donc à faire à une Ascension. L'Alpha et l'Omega
de part et d'autre du Christ : « Je suis l'Alpha et l'Omega, le
Premier et le Dernier, le Principe et la Fin » (Apc XXII, 13) indique
également une Parousie. La main de Pierre sur sa joue à la droite du Christ
indiquant sa tristesse de le voir partir mais le retour est annoncé. Si Peter
Klein n'est pas entièrement convaincu, il admet cependant les connotations
eschatologiques par ailleurs bien visibles à Saint André de Sureda avec les
séraphins sonneurs de trompettes.
Un pas est franchi
par Alessia Trivellone lors d'une récente communication à un colloque de
Fanjeaux qui le considère comme pouvant être également un jugement dernier.
** LINTEAU OU RETABLE ?
Ce linteau est-il à
sa place originelle ? Tel est la grande question !
Pierre Ponsich
avait développé l'idée d'un réemploi au XII ème siècle d'un retable ou d'un
antependium en linteau. Il y voyait donc un ornement d'intérieur, d'autel en
particulier, transplanté en façade. Il s'appuyait pour cela sur des anomalies
de positionnement et des feuillures au dos du marbre. Tout en reconnaissant que
la non existence de retable-prédelle à une époque aussi haute posait problème.
Est-ce donc le linteau qui aurait servi de modèle ?
Marcel Durliat qui
au départ développait la même idée que Pierre Ponsich en était revenu à une
autre conception et après lui Peter Klein. D'autres chercheurs ont depuis
travaillé sur les façades d'églises, le rôle de la porte et la place de
l'église dans le temporel. La conception qui semble s'imposer maintenant est
qu'il s'agit bien d'oeuvres destinées à constituer un décor de façade en
développant le rôle de l'iconographie. Le Christ de l'Apocalypse qui trône au
dessus de la porte est « l'affirmation d'un programme monumental
sculpté ». Henri Focillon déjà avait exprimé l'idée que la sculpture
romane monumentale se développe d'abord par le bas-relief qui détermine un
« espace-limite » et que la clé de la sculpture est dans l'architecture.
Les apôtres du
linteau de Saint Genis comme ceux de son voisin de Saint André s'adapte à
l'arcature qui est une architecture fictive. L'idée sera reprise par la suite.
Le rôle de la
porte, dont le positionnement dans l'axe de la nef se généralise est de plus en
plus affirmé et important. Les éléments qui l'entourent y jouent un rôle
capital.
«Je suis
la Porte où entrent les brebis.
Je suis la Porte. Si quelqu'un entre par moi
il sera sauvé. » (Jean 10-VII, IX)
La porte est donc
un élément symbolique. Elle est différenciée du mur et les matériaux sont plus
soignés. C'est le passage entre deux éléments : du monde terrestre vers la
Jérusalem céleste et c'est donc un seuil qu'il faut franchir. C'est un élément
d'autant plus important qu'il fait l'objet d'un rite et d'une consécration particulière.
Dans sa
communication au colloque de Fanjeaux sur les lieux sacrés et l'espace
ecclésial Alessia Trivellone met l'accent sur cette notion de limite, sur les
relations qui se développent fin X ème début XI ème entre l'intérieur et
l'extérieur de l'édifice-église et
l'extension du sacré. Elle s'intéresse donc à la place et au rôle de
l'édifice dans l'espace temporel commun à cette époque. Epoque qui est celle du
développement de la Paix et Trêve de Dieu largement impulsé par Oliba, de
l'installation des sauvetés que nous connaissons par les travaux de Bonnassie
sur les sagreres catalanes ou d'Aymat Catafau sur les celleres
roussillonnaises.
L'église n'est plus
seulement un espace intérieur, le « sacré » déjà passé de l'autel à
l'édifice va gagner l'extérieur et dès
lors la façade, la Porte qui s'y inscrit et les éléments iconographiques
qui la composent prennent une
importance considérable.
C'est à partir du
début XI ème, avec la mise en place de l'aire d'asile et de la sacralité des 30
pas que l'habitat, après le cimetière va commencer à s'agglomérer. Evidemment,
le pouvoir de l'Eglise- Institution s'y renforce puisque les lois laïques ne
s'y appliquent logiquement pas. Pour Alessia Trivellone c'est à ce moment que
se développe donc une façade en cohérence avec la place nouvelle de l'église en
tant qu'espace et de l'Eglise - assemblée du peuple de Dieu – dans le
cheminement des fidèles vers cette Jérusalem céleste. Cohérence que nous
continuerons à observer dans les périodes suivantes. L'existence par exemple
des corbeaux qui au XII ème siècle porteront un auvent protecteur sont à
l'évidence des représentations d'images apotropaïques, à la fois protectrices
et opposées aux forces du mal. De même la mise en place de plaques funéraires au
XIII ème et début XIV ème de part et d'autre de la porte sous la protection du Christ bénissant ou Christ-juge. Faut-il rappeler également que c'est le moment où le théâtre va commencer à faire sa réapparition, que le scène va être le parvis des églises jusqu'à la grande époque des mystères ?
XIII ème et début XIV ème de part et d'autre de la porte sous la protection du Christ bénissant ou Christ-juge. Faut-il rappeler également que c'est le moment où le théâtre va commencer à faire sa réapparition, que le scène va être le parvis des églises jusqu'à la grande époque des mystères ?
Le Christ
bénissant dans sa mandorle, au dessus de ce passage, à la fois Maiestas Domini
et Ascension, entouré de l'Alpha et l'Omega qui traditionnellement font
référence à son retour et son règne à la fin des temps donc à la seconde
Parousie peut logiquement apparaître comme le Christ-juge. Justice divine
devant le parvis où traditionnellement se déroule également l'administration de
la justice terrestre.
Ce linteau
est en parfaite cohérence avec le développement ecclésial et celui de la
société de l'époque. Il est donc , logiquement, parfaitement à sa place dès le
départ. Xavier Barral i Altet avait quelque temps auparavant déjà expliqué que
l'iconographie qui s'installe sur la façade en ce début XI ème siècle et qui se
généralisera à partir de la fin du
siècle se retrouve plus au Nord de l'Europe par exemple dans les
panneaux sculptés des deux vantaux de bronze de Saint Michel d'Hildesheim
datant de 1015 (donc légèrement antérieur au linteau de Saint Genis) commandés
par l'évêque Bernward que célèbre une inscription qui le nomme sur cette porte
et qui, comme à Saint Genis est destinée à être vue de l'extérieur par
l'assemblée des Chrétiens.
Cette
grande question de la place originelle de cette œuvre, posée et débattue dès le
milieu du XXème siècle et qui semble maintenant trouver une réponse (Est-elle
définitive?) est importante car à
travers elle c'est la datation de l'avènement de la sculpture monumentale dans
l'Art Roman d'Occident qui est posée.
Quoiqu'il en soit
c'est une œuvre magnifique à laquelle il faut (il faudrait!) accorder le plus
grand soin.
Une œuvre
maintenant millénaire...